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Publications 2022

DĂ©truire le terrorisme au Mali Ă©tait une mission impossible (03/02/2022 – La Croix)

Cet article constate la faillite de la politique française au Mali par suite de son fétichisme vis-à-vis de systèmes démocratiques bien critiquables et de son refus d’une tentative de dialogue approfondi avec la Junte qui pris le pouvoir au Mali en aout 2021. Il considère qu’après la reconnaissance du coup d’Etat permettant au fils du président Deby d’assumer le pouvoir au Tchad, son traitement de la junte malienne a été perçu par celle-ci comme discriminatoire et ne pouvait conduire qu’à sa bunkerisation et son appel aux Russes pour assurer tant sa sécurité que la poursuite de la guerre. Ce grave échec diplomatique qu’il était probablement possible d’éviter met en péril toute l’architecture militaire des opérations Barkhane et Tacouba et risque de sceller l’échec de la France dans la lutte contre le djihadisme au Sahel.

Afghanistan : autopsie d’un dĂ©sastre, 2001-2021. Quelles leçons pour le Sahel ? (Collection Le DĂ©bat, Gallimard)




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Le départ en catastrophe des troupes américaines d’Afghanistan, en août 2021, a frappé le monde de stupeur. Comment la première puissance militaire du monde a-t-elle pu être vaincue par une guérilla inspirée par un islam d’un autre âge ? La question a été particulièrement ressentie en France en raison de notre intervention au Sahel dont l’enlisement n’est pas sans faire craindre une issue comparable.

Cet ouvrage propose une analyse des causes du désastre occidental en Afghanistan. Il procède à un diagnostic méthodique et sans complaisance, en s’interrogeant tout d’abord sur le caractère considéré incontournable de cette guerre, par suite du refus du régime Taliban de livrer Oussama Ben Laden, l’auteur de la destruction des Twin Towers à New York le 11 septembre 2001. Contrairement à la guerre d’Irak reconnue comme une guerre inutile, une guerre de libre choix du président Bush, tous les observateurs, y compris le Président Obama dans ses mémoires, ont en effet considéré la guerre en Afghanistan comme une guerre « de nécessité ».

En rĂ©alitĂ© la reconstruction mĂ©ticuleuse dĂ©sormais possible des processus de dĂ©cision amĂ©ricains et pakistanais de septembre Ă  novembre 2001, permet de conclure que cette guerre Ă©tait parfaitement inutile. Un peu plus de sang-froid et un peu moins de certitude de leur toute puissance par l’équipe Bush – Cheney – Rumsfeld aurait très probablement permis, par la nĂ©gociation, de se dĂ©barrasser d’Oussama Ben Laden, d’Al QaĂŻda en Afghanistan et d’éviter une dĂ©sastreuse guerre de 20 ans. Les AmĂ©ricains avaient alors beaucoup de cartes en main.

L’analyse ensuite de la conduite des opérations militaires met en évidence le constant double jeu pakistanais, allié des Etats Unis mais soutien permanent des forces Taliban. Elle souligne les changements de doctrine et de stratégie des dix-huit généraux américains qui se sont succédés à la tête de l’ISAF. Elle souligne le caractère militairement ingérable de la coalition occidentale à la fois trop rigide et inconstante, où près de cinquante nations interfèrent avec la conduite de la guerre. Pendant toute cette période il faut aussi remarquer la dérive des buts de guerre : faut-il se débarrasser d’Al Qaïda au moindre coût ? Importer la démocratie dans ce pays arriéré ? Libérer la femme afghane ? Bâtir une Nation ?

Ce fameux Nation Building, bien que considéré par beaucoup comme le principal objectif, avait peu de chance de se réaliser face à l’hostilité affichée des néo-conservateurs américains, en particulier du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld. Le plus modeste state building fut tenté avec timidité par quelques donateurs. Mais il se heurta à l’opposition du Président Karzaï qui se refusait à renoncer au micro-management qui le caractérisait et à une gouvernance consistant à gérer les institutions publiques comme des butins qu’il fallait octroyer à des brigands pour acheter leur soutien.

L’analyse rigoureuse de l’action du système de l’aide internationale dans ce pays, conduit hélas à conclure à un grave échec, malgré le dévouement de nombreux experts et d’innombrables ONG. Selon l’expression imagée d’un ambassadeur occidental à Kaboul, les agences d’aide se sont en effet comportées comme « un troupeau de chats », sans stratégie et surtout sans coordination sérieuse. L’aide internationale finit assez rapidement par faire partie du problème afghan au lieu d’aider à le résoudre. Elle se désintègre après le départ de l’essentiel des forces américaines en 2013/2014.

Partant ensuite d’une exploitation de rapports des Nations Unies largement oubliés et en particulier ceux de l’UNODC, son agence chargée de la lutte contre le crime organisé et le trafic de drogue, de mes propres observations sur le terrain, de multiples entretiens avec des responsables afghans et de l’exploitation de la littérature nord-américaine sur ce sujet, je mets enfin en évidence l’ampleur exceptionnelle de la corruption dans ce pays.
La corruption de cette élite gouvernementale afghane qui préfèrera se suicider en tant que classe dirigeante plutôt que de renoncer à ses envois de valises de billets verts à Dubaï est un phénomène exceptionnel. La corruption des politiques mais aussi des « hommes forts », mafieux contrôlant le trafic d’opium et chefs de clans, atteint une dimension macro-économique. Elle finira par décourager diplomates, donateurs et militaires occidentaux Elle constituera le principal facteur conduisant à la désaffection massive de la population vis-à-vis du régime et à la décision américaine d’abandonner à son sort un pays à la dérive, devenu ingérable

De cette analyse se dégagent nombre d’enseignements sur « les choses à faire et à ne pas faire » dans le cadre de toute intervention militaire occidentale dans ces pays « faillis » dont le nombre est en train d’exploser. Il s’agit de très dures leçons dont la négligence se paye en vies humaines gaspillées, population découragées et retour au pouvoir de guerriers dont on pensait aisément se débarrasser. Ces enseignements sont regroupés en douze leçons particulièrement destinées aux responsables des politiques de sortie de crise français et africains intervenant au Sahel.